Dans la grande salle faiblement éclairée, assis autour de l’âtre où brûle une grosse bûche, on se serre pour faire place au nouvel arrivant qui vient de frapper à la porte d’entrée.
Mamone (la grand-mère) a mis à rôtir sur le Fucone, une grosse poignée de châtaignes. Malgré l’épaisse fumée qui pique les yeux, les enfants, silencieux, immobiles de peur que les adultes ne les envoient au lit, écoutent les histoires que Babone (le grand-père) va raconter.
Cela commence par cette phrase magique : "C’era una volta…"
LA FÉE BIANCAFORE.
Il était une fois, une très belle fée qui se nommait Biancafiore. Elle avait de longs cheveux blonds et de grands yeux verts.
Un jour alors qu’elle était en promenade au nord de l’île, Biancafiore entendit un air mélancolique et émouvant que jouait sur sa flûte en roseau, le jeune berger Ors’Antò.
Biancafiore, pour la première fois de sa longue vie, ressentit alors une émotion étrange, nouvelle, une sensation qu'elle n'avait jamais éprouvée auparavant.
La fée magicienne était subjuguée par Ors’Antò, et se sentit, d’un coup, éperdument amoureuse.
Alors, elle sortit de sa cachette et s’approcha d’Ors’Antò qui, en la voyant se redressa d’un bond.
Il était grand et avait beaucoup d’allure. Lui aussi, à cet instant, fut très surpris par la présence de cette ravissante jeune fille surgie de nulle part. Ors’Antò se doutait qu'il devait s'agir d'une fée.
Biancafiore lui demanda :
« Beau berger veux-tu m'épouser ?
- Avec plaisir mon aimée répondit Ors’Antò hypnotisé et qui sentait tout son corps trembloter, comme s’il avait la fièvre.
– Eh bien ! Mets vite cet anneau d’or à ton doigt et nous serons mariés. »
Biancafiore tira le bijou magique d’un repli de sa robe et le tendit au berger qui, en obéissant, fut instantanément transformé en grand et noble prince. Et là, au milieu du pré était apparu brusquement l’équipage enchanté de la fée. Sa calèche paraissait couverte de pierres précieuses et de cristaux de givre brillants et était tiré par trois superbes coursiers ailés. Le spectacle était merveilleux.
Soudain, Ors’Antò pensa à sa maman, restée seule au village, là-bas, dans la vallée et il ferma les yeux. Le charme de la fée s'estompa : À présent, il avait peur d’elle, de sa magie et de ses sortilèges.
"Donnez-moi quelques jours afin que je puisse retourner chez ma mère pour l’embrasser une dernière fois, demanda-t-il à Biancafiore tout tremblant.
– Soit, répondit la fée, mais ne tarde pas trop longtemps ; dans trois jours, je t’attendrai ici même ; ensuite, nous rejoindrons notre palais, dans les montagnes du ponant. »
La magicienne embrassa tendrement Ors’Antò puis disparut avec la calèche et l’équipage ailé dans un nuage de vapeur argentée.
Abasourdi, Ors’Antò se mit en route vers la vallée.
Il était pressé de raconter sa rencontre extraordinaire à sa vieille mère qui, sans aucun doute, n’en reviendrait pas de le voir ainsi, l’air riche et distingué, alors que le matin même il avait quitté le modeste logis en simple habit de berger.
Tout près de son village, il rencontra la femme du seigneur de la vallée.
La noble dame, qui était venue là cueillir quelques fleurs, fut toute chavirée de le voir si élégant.
Elle lui dit :
« Beau sire, mon mari, le seigneur de la contrée, est mort il y a quelque temps. Je vous trouve très plaisant. Voulez-vous être mon nouvel époux ? Nous régnerons ensemble et aurons de nombreux enfants. »
Ors’Antò, qui n’était plus sous le charme de la fée, réfléchit. Il regarda l’anneau à son doigt puis la femme du défunt seigneur. Elle n’était pas aussi jolie que la magicienne qu’il venait d’épouser, mais elle, au moins, était humaine...Et elle était riche !
Il prit alors sa décision.
Qu’importe l’anneau d’or, la calèche et les chevaux ailés, qu’importe l’amour de Biancafiore, ses maléfices et ses secrets ! Je préfère le pouvoir et l’argent ! Je serai seigneur.
Cela est décidé ! »
« Oui, je consens à être votre époux », répondit-il à la noble dame avec un grand sourire.
Mais à peine venait-il de prononcer ces mots que l’anneau d’or et les atours enchantés disparurent instantanément. De prince, le jeune berger venait de se transformer en pauvre hère, le plus misérable de la terre et sa beauté avait subitement fait place à la plus affreuse laideur.
La noble dame s'enfuit en hurlant d'horreur et de rage et la terre se mit alors à trembler tandis qu’une ombre épaisse envahissait le ciel, zébré d’éclairs éblouissants.
Puis le vent glacé se mit à souffler de plus en plus fort. Partout, les arbres s’abattaient dans la forêt avec des craquements sinistres...
Ors’Antò comprit que la soudaine tempête était le résultat de sa trahison : En préférant la richesse aux sentiments, il avait tout perdu. Le jeune berger n’avait pas cru à l’amour sincère de la fée qu’il avait préféré prendre pour une sorcière. Il se mit à pleurer à chaudes larmes, et ne vit pas, à quelques mètres de là, Biancafiore qui observait la scène et pleurait, elle aussi, pour la première fois de sa longue vie.
Comme les autres fées, Biancafiore ne supportait pas le mensonge ; Ors’Antò, qui avait juré de l’aimer, avait trahi sa confiance.
Le vent se renforça en hurlant plus fort encore. La fée magicienne ferma alors ses beaux yeux remplis de larmes et s’évapora dans un tourbillon de feuilles mortes.
Au même instant, la terre s’ouvrit sous les pieds du berger qui disparut dans un gouffre profond : Plus personne, jamais, ne le revit.
La colère de Dame Nature avait vengé la fée amoureuse.
LA LÉGENDE DE LA RECETTE DU BROCCIU.
Il était une fois la casa di l’Urcu.
D’après la légende, en des temps très reculés, le Dolmen, dit de la casa di l’Urcu, était habité par un ogre particulièrement cruel. Il terrorisait les habitants des lieux et volait leurs brebis et leurs chèvres.. Il avait aussi un précieux secret : celui de la fabrication du Brocciu..
Un jour, par ruse les bergers purent le capturer, l'ogre en échange de sa vie voulut négocier sa délicieuse recette.
Les bergers firent semblant d’accepter et lorsque l’ogre leur délivra son secret, ils le tuèrent sans aucune autre forme de procès.
LA VÉRITÉ QUI SORT DU BAIN
La légende veut qu'un jour la vérité et le mensonge se soient croisés.
"Bonjour "dit le mensonge.
"Bonjour" répondit la vérité.
"Belle journée" dit le mensonge.
La vérité se pencha ensuite pour voir si c'était vrai; ça l'était.
"Belle journée " dit la vérité.
"Le lac est encore plus beau" répondit le mensonge.
La vérité se tourna vers le lac et vit que le mensonge disait vrai, elle acquiesça d'un signe de la tête.
Le mensonge dit : "l'eau est encore plus belle, nageons."
La vérité effleura l'eau avec ses doigts et la trouva vraiment bonne, elle se fia au mensonge.
Les deux se déshabillèrent et ils nagèrent tranquilles.
Quelque temps après, le mensonge sortit, il s'habilla avec les habits de la vérité et s'en alla.
La vérité, incapable de s'habiller des vêtements du mensonge, commença à marcher toute nue et tous étaient horrifiés de la voir ainsi.
Ainsi va le Monde dans lequel les gens préfèrent encore aujourd'hui accepter le mensonge camouflé comme la vérité et ne pas voir la vérité nue. "
A PISCIA DI A SPOSA (la cascade du voile de la mariée)
Il y a bien longtemps, un homme riche tomba amoureux d'une jeune fille issue d'un milieu modeste. Or, le père de cette dernière était opposé à toute relation entre les deux amoureux. Bravant son interdiction, ils décidèrent de se marier.
Fou de rage en apprenant cette union, le père de la mariée s'introduisit dans l'église où se déroulait la cérémonie et muni d'un sabre, voulu tuer ce gendre inacceptable.
Les époux s'enfuirent, mais la jeune mariée glissa et tomba de la montagne.
Son voile dit-on se serait accroché le long de la paroi et aurait donné ce nom à la cascade.
La biscia de l’ostriconi
On raconte que tous les dimanches, lorsque résonnaient le son des cloches dans la vallée, la Biscia sortait du fleuve pour dévorer un fidèle. C’était le prix à payer, comme un sacrifice, pour que le monstre laisse le village tranquille. Tous les habitants du village très effrayés par ce monstre priaient avec ferveur, pour que la Biscia ne viennent pas les engloutir…
Un jour, un Seigneur en eût assez, et décida d’affronter la Biscia. Il fit sonner les cloches avec violence, et attendit que la Biscia daigne se montrer. Tous les villageois se cachaient dans leurs maisons, et ils avaient peu d’espoir que ce Seigneur téméraire ne se débarrasse du monstre…
Lorsque la Biscia sortit de l’Ostriconi, elle se dirigea vers l’église en espérant voir sortir la foule de fidèles, pour choisir sa proie. A la place, elle ne vit que la porte de l’église légèrement entrouverte. En s’approchant, elle flaira une odeur humaine… Le Seigneur frissonnait à l’idée d’affronter un tel monstre. Mais il savait que sa cause était juste, et qu’il fallait défendre son honneur. Il sortit de l’église ; il était en vérité à cheval !
Le combat commença alors : la Biscia, peu habituée à se déplacer sur la terre ferme se fatigua très vite. Le Seigneur, même épuisé, ne pouvait que se réjouir de l’état du monstre infâme. La bête, pressée d’en finir, se redressa pour prendre de l’élan et l’engloutir. Le Seigneur, qui était aussi très rusé, en profita pour lui trancher la gorge. Il en était fini de la Biscia de l’Ostriconi.
Les villageois sortirent et l’acclamèrent. Il les avait sauvés.
Mais subitement, le Seigneur s’effondra. Le sang de la Biscia avait coulé sur l’une de ses plaies, et le puissant venin le tua en quelques minutes à peine…
Alors la prochaine fois que vous irez à la plage de l’Ostriconi, faites bien attention à ne pas croiser une créature fantastique, peut être la descendance de la Biscia…
Le dragon du lac de Cinto
On raconte que, dans des temps reculés, le diable s’était retiré sur les bords du lac Cinto. Un jour trois fées arrivèrent pour prendre sa place. A cette époque le lac ne présentait pas cet aspect tourmenté, il était entouré de pins et couvert de nénuphars. Furieux de cette intrusion, Satan avant de s’en aller, ordonna à ses suppôts de tout saccager autour du lac. Il avait laissé, errant dans la montagne, son dragon favori. Antone était le fils du berger qui l'aperçut pour la première fois.
Un soir, tandis que se préparait la fête de la châtaigne une lueur rougeoyante éclaira le fond de la vallée. Les oiseaux fuyaient à tire d’ailes et les chiens hurlaient à la mort.
Dans la vallée la forme du dragon avec sa longue queue et son cou terminé par sa terrible tête se distinguait nettement : le monstre venait vers le village !
Après avoir empli l’air de ses lugubres cris, le dragon délaissa le village et regagna sa tanière. Les jours suivants la même scène se reproduisit. Les villageois étaient prisonniers dans leur village, ils ne pouvaient plus s’éloigner pour amener leurs troupeaux au pacage ou ramasser les châtaignes : la famine allait s’abattre sur eux.
Antone promis d'aller combattre le dragon et il se retira dans l’église pour y prier toute la nuit.
- Seigneur, Aidez -moi, donnez-moi la force de combattre le dragon ! - Il ne peut rien pour toi ! Jésus ne peut se mêler directement dans l’histoire des hommes. Antone se retourna et se trouva face aux fées du lac Cinto, qui portaient respectivement une robe bleue comme le ciel, une robe jaune comme le soleil et une robe rouge, comme la force qui combat le mal.
La fée en rouge était la plus jeune et la plus jolie... Elle promis de combattre auprès d'Antone - Je combattrai le démon pendant que tu t’occuperas de combattre le corps de la bête. Elle lui tendit une longue épée au pommeau d’or. - Cette arme t’aidera à vaincre la bête. Maintenant va !
Antone prit l’épée et sortit.
Le lendemain il partit dans la direction où l’on avait aperçu le dragon pour la dernière fois.
Soudain les villageois entendirent un vacarme qui s’élévait dans la vallée. Au milieu des hurlements terribles poussés par le dragon on percevait le cliquetis d’armes, comme si une armée entière combattait. Une fumée s’échappait du bois où se déroulait le combat, une brise amena vers le village une odeur de souffre.
Le combat dura plusieurs heures puis,brusquement, le silence retomba sur la campagne, un silence assourdissant tant il impressionnait. Sur les lieux du titanesque combat la fée reprit l’arme qu’elle avait confiée à Antone. - Tu es aussi beau que tu es courageux ! Elle déposa un baiser sur son front. Antone s’enhardit : - Je sais que je ne devrais pas dire une telle chose à une fée... Mais, je vous aime ! Surpris lui même par sa témérité, il fit demi-tour et partit en courant.
Il fut reçu au village comme un héros et la vie repris son cours, sauf pour Antone dont le souvenir de la fée à la robe rouge ne le quittait plus.
Un jour dans une clairière ils découvrit trois maisonnettes une avait la porte bleue, l’autre une porte rouge et la troisième une porte jaune.
Prenant son courage à deux mains, il frappa à la porte rouge.
Nul ne sait ce qui se passa lorsque la porte s’ouvrit car personne n’a plus jamais revu Antone.
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