top of page
Photo du rédacteurVacances à Moriani

Contes et légendes (5)

Dernier volet de ce dossier consacré aux contes corses, puisés dans un imaginaire venu des quatre coins de l’île et des peuples qui y accostèrent au cours des siècles passés. Plongez de nouveau dans un monde de mythes et légendes où le mystère et la magie s'entrelacent, reflétant l'esprit de la culture corse dans toute sa diversité, ses traditions orales et l'essence même de l'île de beauté.


LE COCHON PORCAFONU


Il était une fois en Castagniccia, un cochon qui s’appelait Porcafonu car il parlait. Il était cochon par sa mère et sanglier par son père. Un beau jour de décembre, las de voir ses frères mourir dans les plus atroces souffrances sous la lame des paysans insensibles à leurs cris d’agonie, le cochon décida de tenir un concile et rassembla tous les porcs des campagnes environnantes. Même leurs cousins les sangliers avaient été conviés à ce rassemblement historique.

PORCAFONU

« Dieu, là-haut dans le ciel, ignore notre souffrance et ne voit pas ces hommes qui nous égorgent et nous transforment en figatelli, coppa et lonzu. Je vais donc aller le trouver pour lui faire part de nos doléances à tous. Pour cela, je vais donc me laisser tuer ».

Un vieux sanglier réclama l'honneur de mourir pour cette noble cause et se proposa volontairement. Un grognement unanime retentit parmi l'assemblée, touchée par un tel sacrifice. Il partit alors vers la vallée d'Alesani où les chasseurs du canton l'attendaient. Dès le premier coup de fusil, il tomba et son âme quitta son enveloppe de sanglier pour monter doucement au ciel.

Il frappa à la porte du Paradis et Saint Pierre vint lui ouvrir pour le conduire non pas devant Dieu qui était occupé, mais devant Saint Martin auquel il refusa catégoriquement de parler, se montrant même particulièrement insolent : " j’ai dit que je voulais parler à Dieu et à personne d’autre ! ".

Cette attitude eut pour effet de mettre Saint Martin très en colère. Il annula sa mort et le renvoya sur terre.

Avant d’être chassé le vieux sanglier dépité s’écria: " U liamu un’hè un santu, fa miraculi pur tantu ! " (le fumier n’est pas un saint, il fait pourtant des miracles).

De retour sur terre, il raconta son aventure à une assemblée médusée par la rapidité de sa mission.

Porcafonu, le cochon intelligent, grogna à plusieurs reprises; il fallait faire vite car les fêtes de fin d’année approchaient…


Ce matin de Noël, Saint Pierre paniqué courait dans tous les sens. Des milliers d'âmes de porcs, menées par celle de Porcafonu, laissaient leurs excréments devant la porte du Paradis, engendrant une odeur nauséabonde qui rendait l'air irrespirable. Saint Martin apparut bientôt rouge de colère : "Que voulez-vous, bande de porcs ?! ", s’écria-t-il.  "Nous voulons être reçus par Dieu en personne sinon, nous continuerons à répandre notre fumier devant votre porte ! ". Saint Martin en conclut qu’on ne pouvait pas négocier avec les Corses.

Au bout du troisième jour, le Diable entra dans la danse et se moqua de voir le Paradis ainsi

A la fin du cinquième jour, Dieu eut connaissance de l’émeute accepta de recevoir les émeutiers.



Pour éviter la confusion, une délégation conduite par Porcafonu et constituée d’un porc par village présenta ses doléances : Les cochons voulaient être respectés en tant que tels, ils souhaitaient mourir dignement et sans souffrances.

Dieu assura que les souhaits seraient réalisés et désigna Saint Antoine, (San Antone di u porcu), comme gardien des porcs. Il ordonna qu'à chaque centenaire de la Saint-Jean, un cochon choisi par Porcafonu aurait la mission de rendre un homme fortuné et comblé. Les délégués, contents des résolutions divines, se dispersèrent et le parfum du maquis sauvage envahit à nouveau le paradis.


L'année suivante, à l'approche des fêtes de Noël, les abattages de cochons reprirent et Porcafonu, depuis le ciel, observait le carnage. Il serait difficile de désigner un élu parmi tout ce désordre. Mais que faisait donc San Antone di u porcu ?

Après avoir observé les villages et leurs habitants pendant longtemps, il aperçut, à sa grande surprise, un petit homme qui ne tuait ni ne mangeait de cochons.

"C'est donc lui qui sera l'élu! ", proclama-t-il.

Un soir, tandis que le vieil homme se réchauffait près du feu sans griller de figatellu, il perçut un grognement étrange. Se levant, il ouvrit la porte et vit devant lui un cochon qui s'exprimait : « Je suis Porcafornu, le Dieu des porcs. J'ai choisi de te rendre riche car tu ne consommes pas de porc ». Le vieillard faillit s'évanouir, mais il se reprit rapidement.

« Je ne mange pas de cochon parce que je suis Juif ! ». Porcafonu poursuivit: « Au hameau de Bonicardo, près de funtana di moru, il y a un trésor que les maures ont enterré après une terrible bataille. Tu trouveras ce trésor et tu deviendras très riche ».

Le petit homme refusa, ne souhaitant pas devenir riche et susciter l'envie des voisins, car il avait déjà son lot de malheurs. Porcafonu insista tellement que le brave homme finit par accepter, à la condition que sa nouvelle richesse lui apporte également le bonheur qui lui avait toujours manqué. Le cochon acquiesça, donna ses ultimes conseils et s'évanouit de la terre pour cent ans.

Le petit homme découvrit le trésor, devint immensément riche et épousa une paysanne qui lui donna sept enfants. Il consacra sa vie à faire le bien autour de lui. Chaque année, il achetait des cochons qu'il ne tuait jamais, et répondait avec un sourire à ceux intrigués par ce mystère : « Les cochons m'ont porté bonheur, je souhaite qu'ils meurent de leur belle mort. »

Lorsque la mort l’emporta à l’âge de 98 ans, le grognement  des porcs résonna dans toute la campagne comme un dernier adieu.



LA FEE DE BRANDO

Trois frères pauvres et orphelins, Orlando, Francesco et Mario vivaient misérablement dans une cabane située au bas du village tout près de la mer. Ils se nourrissaient de coquillages ramassés au creux des rochers, de châtaignes, de baies sauvages et de merles qu'ils attrapaient avec leurs frondes dans le maquis. Un jour qu'il piochait les quelques arpents de terre de leur petit jardin, Mario, le plus jeune des trois, découvrit un trésor : une cassette remplie d'or !

le trésor de brando
Aio ! mes frères ! Aio ! Venez vite, nous sommes riches désormais ! Ces pièces ne sont pas à toi. Nous sommes les aînés, donc elles nous reviennent de plein droit. Mais c'est moi qui les ai trouvées, riposta Mario. Oui, mais dans notre jardin.

La soif de l'or ébranla la raison d'Orlando et de Francesco. Et le petit Mario comprit alors que ses deux frères iraient jusqu'au meurtre pour s'emparer du précieux métal. Affolé, il prit la fuite cherchant refuge dans le maquis. Une vieille bergère courbée sous le poids d'un fagot de bois sec, vint à sa rencontre sur le sentier sinueux et étroit. L'enfant pleurait.

Mais qu'as-tu donc ? demanda-t-elle. Pourquoi ces larmes ? Ce sont mes frères. Ils veulent me tuer pour s'emparer du trésor que j'ai trouvé au fond du jardin. Suis moi, répondit la vieille femme. Je vais te cacher.
La grotte de Brando

Et elle le conduisit dans la grotte.

Orlando et Francesco s'étaient mis à la poursuite de Mario. Ils aperçurent la bergère.

Nous cherchons notre jeune frère. L'auriez-vous aperçu ? Oui, je l'ai mis à l'abri dans une grotte, un peu plus haut. Je vais vous y conduire.

la fée de Brando

Les deux garçons en franchirent l'entrée d'un bond. Mais une roche énorme se détacha pour en bloquer l'ouverture. Ils étaient prisonniers. Une pluie d'or se mit à tomber des stalactites, ruisselant sans discontinuer sur les deux malheureux qui périrent ainsi ensevelis. Le petit Mario qui s'était endormi, épuisé par la fatigue et la peur, fut réveillé à l'aube par une merveilleuse jeune femme, resplendissante de lumière et tenant à la main une baguette, la baguette magique des fées.

C'est moi la pauvre vieille que tu as rencontrée. N'aies plus peur désormais. Car je te prends sous ma protection. Je suis la fée de la grotte.


LE PORTEUR D'EAU ET LA CRUCHE FISSUREE


le porteur d'eau

Un porteur d'eau possédait deux grandes jarres, accrochées aux extrémités d'une perche qui reposait sur ses épaules.

L'une des jarres était fêlée, et tandis que l'autre conservait toute son eau jusqu'à la demeure du maître, la jarre endommagée perdait presque la moitié de son contenu en chemin.

Pendant deux ans, chaque jour, le porteur ne parvenait à livrer qu'une jarre et demie d'eau à chaque voyage.

Bien sûr, la jarre parfaite était fière d’elle, puisqu’elle parvenait à remplir sa fonction du début à la fin sans faille. La jarre fissurée, elle, se sentait honteuse de ses défauts et déprimée de ne réaliser que la moitié de sa capacité prévue.

Après deux ans de ce qu'elle percevait comme un échec constant, elle exprima ses inquiétudes au porteur d'eau lorsqu'il la remplissait à la source.« Je me sens coupable, et je te prie de m’excuser. » « Pourquoi ? » demanda le porteur d’eau. « De quoi as-tu honte ? » « Je n’ai réussi qu’à porter la moitié de ma cargaison d’eau à notre maître, pendant ces deux ans, à cause de cet éclat qui fait fuir l’eau. Par ma faute, tu fais tous ces efforts, et, à la fin, tu ne livres à notre maître que la moitié de l’eau. Tu n’obtiens pas la reconnaissance complète de tes efforts », lui dit la jarre abîmée.

Le porteur d'eau, ému par cette confession répondit : « Pendant que nous retournons à la demeure du maître, je souhaite que tu observes les splendides fleurs qui jalonnent notre chemin. » Tout au long de leur ascension sur le sentier de la colline, la vieille jarre remarqua les magnifiques fleurs baignées de soleil en bordure du chemin, ce qui réchauffa son cœur. Néanmoins, à la fin de leur trajet, elle se sentait toujours aussi triste car elle avait de nouveau perdu la moitié de son contenu. Le porteur d’eau dit à la jarre : "T’es tu rendu compte qu’il n’y avait de belles fleurs que de ton côté, et presque aucune du côté de la jarre parfaite ? C’est parce que j’ai toujours su que tu perdais de l’eau, et j’en ai tiré parti. J’ai planté des semences de fleurs de ton côté du chemin, et, chaque jour, tu les as arrosées tout au long du chemin. Pendant deux ans, grâce à toi, j'ai cueilli de splendides fleurs qui ont orné la table du maître. Sans ton aide, je n'aurais jamais pu dénicher des fleurs aussi fraîches et élégantes.

Ne l'oublie jamais : Nous sommes tous un peu fissurés.."



Bonne lecture avec les 4 précédents volets de ce dossier

 

94 vues0 commentaire

Posts récents

Voir tout

Commentaires


bottom of page