top of page
  • Photo du rédacteurVacances à Moriani

Contes et légendes (4)

La tradition corse recèle de petits bijoux en matière de contes : Retrouvez ci-dessous l'histoire de Ginevra, la reine des fées...


C'era una volta


La reine des fées


Il y a bien longtemps, au temps des sortilèges, la reine des fées de l’île parfumée s’appelait Ginevra.

Elle habitait un superbe palais bâti sur une falaise dominant la mer et avait trois filles : Almabella, Carabella et Rosabella.

Ginevra était aimée et respectée de tous les habitants.

Chaque jour, elle visitait une région différente de son vaste territoire, toujours à l’écoute des plus faibles à qui elle prodiguait assistance et amour.

Elle avait le pouvoir de se déplacer en prenant l’apparence de n’importe quel animal terrestre ou marin mais préférait, la plupart du temps, se parer de belles plumes d’oiseau et voler à tire-d’aile.

Pour chacun de ses voyages, elle se faisait ainsi et tour à tour, mouette, fauvette ou bergeronnette.

Le palais de Ginevra était magnifique, avec ses murs tapissés de nacre, ses planchers en corail et ses plafonds incrustés de pierres précieuses et de perles fines. Au-dessus de la grande salle de réception, ornée de statues d’hippocampes, un escalier de gorgones menait à une haute tour. De là, le panorama sur le rivage et l’horizon était à couper le souffle.

Souvent, les trois jeunes filles et leur mère montaient y admirer le coucher du soleil, flamboyant de splendeur orangée, écarlate, puis mauve et violette.

Aussi douces que belles, Almabella, Carabella et Rosabella, qui s’entendaient à merveille, avaient chacune leur chambre, qu’elles pouvaient décorer selon leur humeur du moment.

En effet, les trois soeurs, même si elles ne possédaient pas encore les immenses pouvoirs de leur mère, n’en étaient pas moins, déjà, de très bonnes magiciennes.


Un jour, Ginevra dut partir très loin, jusqu’aux confins de son domaine.

Une maman balbuzard, qui habitait ce lieu retiré, appelait au secours et avait demandé à un ami cormoran de transmettre un message énigmatique qui disait seulement :

« Venez ô Reine, j’ai besoin de vous… C’est urgent… »

Ginevra, intriguée, s’était transformée en mouette pour se rendre au plus vite sur le lieu du rendez-vous, situé aux confins de la frontière du Nord.


Après un vol tout le long de la côte, la souveraine des fées parvint en vue du nid, construit à la limite de son royaume.

Elle fit un cercle au-dessus de lui avant de se poser à proximité.

Quelques instants plus tard, elle venait juste de reprendre sa forme de reine quand elle entendit, dans son dos, résonner un cri.

Elle se tourna et fut frappée au même instant par un éclair bleuté.

Ginevra était consciente, ne souffrait pas mais se trouvait totalement paralysée, comme pétrifiée…

Devant elle se tenait celui qui avait crié : un grand personnage, vêtu d’un long manteau noir.

Sa tête était cachée sous une capuche et il tenait à la main une petite branche de bois sec.

À ses pieds, une belette, au pelage aussi sombre que la nuit, se tenait immobile.


Soudain, le mystérieux inconnu pointa sa branchette sur Ginevra. Aussitôt, un autre éclair bleu jaillit qui frappa à nouveau la fée. Ginevra se sentit devenir plus faible encore.

L’inconnu l’observa un moment puis il marcha dans sa direction, suivi de près par son étrange animal.Tous les deux s’arrêtèrent juste devant la reine des fées.

Car il était évident que lui aussi était un magicien puissant.

L’inconnu rabattit la capuche du manteau sur ses épaules puis il tourna sur lui-même, comme pour laisser à la fée tout le loisir de le dévisager.

«Ne me reconnaissez-vous pas ? Je suis Budianu, le prisonnier de votre mère Viviana... Maintenant, c'est vous qui êtes désormais ma prisonnière, je suis comblé !»

Ginevra sentit son coeur se serrer très fort, elle se rappelait à présent…

Elle était toute petite quand sa mère avait vaincu et emprisonné ce Budianu, un méchant sorcier qui, par soif de pouvoir et de puissance, était devenu un sinistre vampire connu pour sa cruauté.

Après le combat qu’il avait perdu, Viviana l’avait enfermé dans une grotte où il devait demeurer très longtemps.

Budianu se remit à rire.

« Ha, ha, ha ! Vous vous demandez ce que je veux et pourquoi vous êtes ma prisonnière ? Mais je veux me venger, tout simplement… Votre mère Viviana m’a enfermé, je vous enfermerai aussi, vous et vos filles… En vous frappant de l’éclair bleu, je leur ai envoyé un charme en même temps et elles sont désormais paralysées autant que vous l’êtes… Ah, comme je suis satisfait… Votre règne maudit prend fin aujourd’hui … Désormais, me voilà roi ! »

Les yeux du sorcier noir brillaient d’un malicieux éclat tandis qu’à ses pieds, sa créature retroussait lentement les babines, laissant voir ses fines dents, pointues comme des aiguilles.

Budianu se remit à rire de plus belle puis ajouta :

« Vous, Ginevra, serez enfermée au fond d’un gouffre obscur et humide, où vous pourrez réfléchir longuement sur l’étendue de mes pouvoirs. Vos trois filles seront, elles aussi, emprisonnées, chacune dans un lieu différent. Vous allez ainsi disparaître à jamais et moi je pourrai régner sans partage. Tout est fini pour vous. Mais avant de vous envoyer dans vos cellules respectives, je veux vous montrer, ô ex-souveraine, le secret de ma puissance… »

Budianu ouvrit alors son manteau…

Sur sa poitrine, accroché à une chaîne d’argent, pendait un objet que Ginevra reconnut immédiatement.

C’est bien l’Unghju di a Gran’ Bestia, l’Ongle de la Grande Bête, se dit-elle en observant ce joyau ancien qui se présentait comme un cristal bleu, taillé en forme de doigt et prolongé d’une longue griffe.

Cet Ongle avait été créé autrefois par un grand mage pour servir de talisman contre les vampires.

Cependant, possédé par l’un de ces vampires, l’Ongle perdait ses pouvoirs de protection et devenait au contraire une arme redoutable au service du mal.

Et c’est bien ce qui s’était passé :

Viviana, après avoir envoyé Budianu dans sa grotte, avait caché le joyau chez elle mais la belette du sorcier noir, un jour que la fée était en voyage, l’avait cherché et trouvé.

Puis l’animal avait rejoint la prison de son maître.

En rongeant patiemment l’épaisse porte de glace, la belette avait réussi à creuser un trou dans lequel elle avait fait passer l’Ongle à Budianu qui l’avait utilisé pour s’échapper.

Budianu sait bien se servir du talisman, pensa Ginevra…

Il faut réagir sans attendre…

Aussitôt, et avant que le sorcier ne puisse faire un geste ou dire le moindre mot, la reine des fées se transforma.

Avec son orgueil démesuré, Budianu voulait humilier Ginevra.

Il l’avait donc paralysée en laissant sa conscience intacte.

Fatale erreur…

La reine des fées ne pouvait plus bouger mais elle pouvait penser.

Or, c’est par la pensée qu’elle pouvait manifester ses pouvoirs.

Elle n’avait donc besoin ni de baguette magique ni de joyau malfaisant…

En une fraction de seconde, enveloppée d’une étrange brume dorée, elle décida de prendre l’apparence d’une fine aigrette garzette.

Devant le mage au manteau couleur de nuit, le bel oiseau blanc, les ailes déployées, resplendissait de lumière.

D’un coup de son long bec, la fée-aigrette brisa la chaîne et saisit l’Ongle de la Grande Bête. Budianu, comme si on lui avait arraché le coeur, poussa alors un affreux cri de désespoir puis tomba à genoux en lâchant sa baguette.

Sa belette se coucha à son côté.

Le sorcier noir et sa fidèle créature étaient vaincus et pris à leur propre piège.

Incapables de faire le plus petit mouvement mais parfaitement conscients, ils assistèrent une nouvelle fois à la transformation de Ginevra qui reprit, toujours enveloppée de brume dorée, sa forme première.

La reine fit un grand sourire puis siffla trois notes.

Aussitôt, apparurent à quelques mètres la famille des balbuzards et le cormoran qui avait porté le message.

« Voyez ce qui arrive au sorcier noir, leur dit Ginevra en montrant du doigt Budianu et sa belette, complètement immobilisés. Désormais, vous n’avez plus rien à craindre. Allez en paix, regagnez vos terres et n’ayez plus peur de ce mage si méchant. Je vais détruire définitivement l’Ongle de la Grande Bête. Vous pouvez le dire partout. Allez maintenant… »

Les oiseaux, à la fois émerveillés et rassurés, remercièrent chaleureusement la souveraine avant de prendre leur envol.

Ginevra, qui était inquiète pour ses trois filles, les appela par la pensée.

Aussitôt, Almabella, Carabella et Rosabella arrivèrent, enveloppées d’un petit nuage doré.

Elles avaient voyagé sous la forme de chouettes et elles firent un dernier vol circulaire avant d’atterrir près de la reine des fées.

Puis, les trois soeurs retrouvèrent leur apparence habituelle et se jetèrent dans les bras de leur mère en riant.

Budianu enrageait mais ne pouvait rien faire.

Il était à la merci de Ginevra qui lui dit :

« Vilain sorcier, tu as osé te prétendre mon égal en usant du pouvoir secret de l’Ongle de la Grande Bête… Et tu as utilisé sa magie pour faire le mal… Tu mérites une bonne punition, mais avant tu vas assister à un spectacle inoubliable… »

La reine des fées leva les yeux au ciel puis siffla une seule et longue note…


Aussitôt, sa mère, la puissante Viviana, apparut dans une brume pailletée d’or et sous sa propre forme.

Grande, mince, elle paraissait presque aussi jeune que sa fille.

Almabella, Carabella et Rosabella se précipitèrent vers leur grand-mère qui ne faisait vraiment pas son âge.

La famille des fées était enfin réunie.

Ginevra, après avoir embrassé sa mère, s’adressa une dernière fois au sorcier noir :

« Tu vas retourner pour longtemps dans ton cachot de glace, là-haut dans la montagne, et ta créature t’accompagnera. Mais si un jour tu demandes vraiment pardon pour le mal que tu as fait, j’entendrai ta pensée et je pourrai alors revoir ta condamnation. En attendant, regarde bien ce qui va arriver à l’Ongle que tu as utilisé et qui ne sera jamais plus un bon talisman… »

La reine des fées posa le vieux joyau sur une pierre et le couvrit d’herbes magiques et de fleurs séchées qu’elle prit dans un petit sac vert accroché à sa ceinture.

Puis, Ginevra, sa mère et ses trois filles se mirent en cercle en se tenant par les mains et commencèrent à danser une ronde.

On entendit alors, venu du ciel, un étrange chant d’oiseau, lent au début mais qui se fit de plus en plus rapide.

La danse suivait le tempo musical qui s’accélérait et les fées tournaient de plus en plus vite…

La ronde se fit tourbillon.

À cet instant, sur la pierre, les herbes magiques et les fleurs qui recouvraient l’Ongle se métamorphosèrent en un feu ardent, crépitant et multicolore.

En quelques secondes, le vieux joyau fut réduit en une poudre de cendres, grise et inerte.

Son charme malfaisant était définitivement rompu.

L’oiseau invisible cessa alors son chant et la ronde tourbillonnante prit fin elle aussi.

Ginevra s’approcha du surpatoru et de sa belette qui tremblait de peur en gémissant.

« Il est temps de partir, lui dit-elle. Souviens-toi, Budianu, que tu peux être pardonné. Si tu te repens, je le saurai immédiatement et tu pourras retrouver la liberté. Mais il faut que tu sois sincère. »

La reine des fées posa ensuite sa main droite sur le front du sorcier qui fut, au même moment, enveloppé avec son animal dans une épaisse fumée noire.

Puis, il y eut un éclair blanc et tous les deux se volatilisèrent.

On entendit alors un bruit étrange, comme un brusque claquement de porte, et la fumée s’évapora elle aussi en un instant.

Budianu et la belette avaient rejoint leur haute et froide prison de glace.

***

Toutes contentes, Viviana, Ginevra, Almabella, Carabella et Rosabella regagnèrent alors le féerique palais bâti sur la falaise dominant la mer.

Puis, les fées décidèrent d’inviter tout leur petit monde – hommes, oiseaux et animaux – à une grande fête de la paix retrouvée.

Cette célébration fut tellement réussie que son souvenir s’est transmis, de génération en génération, durant des siècles et des siècles.

Souvenir d’une époque merveilleuse et enchantée de l’île parfumée.




75 vues0 commentaire

Posts récents

Voir tout

Comments


bottom of page